Je m’appelle Jacqueline. Mes parents ont fui l’Arménie en 1914. Mon père est d’abord resté un an ou deux en Turquie, et il est arrivé en France en 1917. Mes parents se sont mariés en France. Mon père a commencé comme menuisier à Nice. Plus tard, ils ont pris une épicerie à Marseille.

À l’époque il y avait un camp de réfugiés arméniens près de la gare, sur un terrain vague. Les gens se lavaient dehors avec des seaux d’eau. Alors ma mère a eu l’idée d’ouvrir le bain, comme au pays. Des cabines de douches. D’un côté les hommes, de l’autre les femmes. C’était en 1936. Ils ont pris ce local qui avant était un dépôt de boites de « La Vache qui rit. »

Et depuis c’est le Hammam Sultan. C’est bien placé, tout près de la gare. Mais on a échappé de peu aux bombardements pendant la guerre. Une bombe est tombée à quelques mètres, là sur le parking. Moi, j’étais à la campagne avec mon frère, à La Rose. On entendait les bombes qui tombaient. On nous a dit que nos parents étaient morts. On est parti à pied, on a marché jusqu’à Saint Juste. J’ai vu ma mère dans la rue et j’ai couru dans ses bras. Ça a été dur cette époque. On n’avait rien et il fallait se débrouiller. Aujourd’hui on a tout et on jette. Un trou dans la chaussette, on jette. A l’époque on raccommodait. Les choses avaient de la valeur. Maintenant les jeunes ont le portable dans la poche et tout le confort et ils rouspètent. Je vous le demande, où sont passés les sourires des jeunes, les sourires des gens ?