Compteur temporel d’inter-inactivités.
Prendre le temps pour perdre du temps, consacrer du temps au rien, laisser filer le temps. Joindre l'inutile à l'agréable. Farniente.
De manière constante, notre temps humain, du moins sa maîtrise par les individus, est perpétuellement aliéné au profit des intérêts de la société capitaliste.
« Nous perdons non seulement la possession, mais aussi le contrôle sur ce temps, qui est organisé, orienté, exploité dans le seul but de produire de la plus-value. » 1.
Pourtant les avancées majeures dans les moyens de production pourraient aboutir à la diminution des temps de labeur. C'est sans compter sur la logique du système capitaliste, et sa volonté d’exploiter sans limite toutes les ressources à sa portée, y compris le temps libéré par la modernisation des moyens de production. Faire plus de travail dans le même temps se traduit tout simplement par un gain de productivité et une croissance capitaliste.
Dans « une société connectée », comme celle dans laquelle nous vivons, rien n’échappe à cette logique, et ceci 24 h sur 24, sept jours sur sept.
« Que ce soit au travail ou en vacances, il s’agit de l’impossibilité de trouver des moments vides d’activités, de se déconnecter. C’est un temps homogène, où il n’y a aucun temps mort, aucun silence, aucun instant de repos ou de retrait. […] chaque moment, chaque relation sociale est monétisé pour faire en sorte que tout dans nos vies soit convertible avec les valeurs du marché ...» 2.
Absurde et victime de son aliénation, l’être humain qui vit dans cette société a transformé l'activité laborieuse en acte essentiel pour « exister », et « se définir ». Des adages comme, « L'oisiveté, mère de tous les vices ! », »Le temps c'est de l'argent », sont toujours ancrés dans l'inconscient collectif.
Dans sa publication « Eloge de l'oisiveté » Bertrand Russel rapporte l'histoire du Voyageur et des 12 mendiants allongés au soleil. L'histoire se passe à Naples. Le voyageur propose une lire au plus paresseux parmi eux. Onze se lèvent pour réclamer la pièce. Il la donne au douzième. Russel ajoute que ce qui paraît possible sous le soleil du sud demandera dans les régions du Nord de grandes campagnes d’incitation par les pouvoir publics avant de convaincre les jeunes gens à ne rien faire.
L’obligation de « faire absolument quelque chose » pour remplir tout entre-temps, mène à la multiplication de métiers inutiles.
«Nous avons pu observer le gonflement, non seulement des industries de “service”, mais aussi du secteur administratif, jusqu’à la création de nouvelles industries comme les services financiers, le télémarketing, ou la croissance sans précédent de secteurs comme le droit des affaires, les administrations, ressources humaines ou encore relations publiques.» 3.
Nous sommes confronté à un système social qui proscrit la flemmardise, qui considère l'inactivité comme contre-productive et comme une menace envers le progrès. L'inactif, le fainéant : un asocial, un saboteur, une insupportable entrave à la libre entreprise, - à éliminer sans état d'âme.
Au travail comme à la maison, je vous invite à devenir activement inactif, une fois, de temps en temps, toute une journée, tous les jours, comme bon vous semble.
Sortez du rang ! Résistez au dictat du faire. Appuyez sur le bouton et ne faites rien aussi longtemps que vous voulez et aussi souvent que vous pouvez.
Faites le savoir dans votre entourage, initiez vos amis et connaissances à cette pratique. Une minute de rien faire n'est rien, mais ce rien multiplié par mil, cent mil, un million, et répété de nombreuses fois, fera gagner du temps à l'inaction.
Prendre le temps, perdre du temps, donner son temps.
1. Jonathan Martineau : « Temps social, modernité et capitalisme », article sur « Raisons Sociales » http://raisons-sociales.com/articles/temps-social-modernite-et-capitalisme.
2. Jonathan Crary, professeur d’histoire de l’art et d’esthétique à l’université de Columbia, à New York : « 24/7, le capitalisme à l’assaut du sommeil » éditions « ZONES ».
3. David Groeber Professor d’anthropology à “London School of Economics”: « Bullshit jobs », article sur “Strikemag” http://strikemag.org/bullshit-jobs.